Des témoignages sur la collaboration IPA / MG

 

Ces derniers mois, à la faveur d’une proposition de loi controversée, infirmiers en pratique avancée et généralistes se sont opposés médiatiquement. Mais sur le terrain, ceux qui travaillent ensemble se réjouissent pourtant de cette collaboration, malgré un développement encore très limité.

 

Si la création du statut d’infirmier en pratique avancée (IPA) dans la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 n’avait pas été accueillie que par des hourras enthousiastes de la part des médecins, l’évolution du métier d’infirmier n’avait pas entraîné une levée de boucliers comparable à celle connue ces derniers mois.

 

En effet, la proposition de loi de la députée Stéphanie Rist intitulée « Amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé » veut mettre en place plusieurs évolutions du métier d’IPA. Alors qu’au moment où nous écrivons ces lignes, une commission mixte paritaire devait s’entendre sur l’ensemble de la loi, le Sénat tout comme l’Assemblée nationale ont déjà voté une première fois deux mesures qui permettraient un accès direct aux IPA dans le cadre d’un exercice coordonné et la primoprescription de certains soins et médicaments. Des évolutions qui ont provoqué l’ire d’une partie des médecins et qui, sur les réseaux sociaux, ont parfois dérivé vers une « campagne » anti-IPA portée par des informations qui s’apparentaient plus souvent à de la fake news qu’à un vrai retour de terrain.

 

Permettre au MG de se recentrer sur les problèmes aigus

 

Car, en ville, si on tend le micro aux IPA et généralistes qui travaillent ensemble, la collaboration semble bien se dérouler. En Île-de-France, Éléonore Vitalis a été l’une des toutes premières IPA puisqu’elle a suivi un des masters préfigurateurs à Marseille, de 2015 à 2017. En 2016, elle a été embauchée au centre de santé de Nanterre (Hauts-de-Seine) pour créer le poste d’IPA, et y a travaillé six ans avant son passage en septembre dernier au centre de santé de Goussainville (Val-d’Oise).

 

Elle raconte : « Je vois les patients une première fois à la demande du médecin, je regarde quelle est la raison de l’orientation du praticien et, ensuite, je continue à les suivre si cela rentre dans mon champ de compétences. En général, je les vois une fois tous les trois mois pour le suivi de leur maladie chronique, renouveler leurs ordonnances si nécessaire », détaille-t-elle. En 2021, sur un poste d’IPA à temps partiel, elle prenait en charge 415 patients.

 

 

 

Dans la Vienne, à Adriers, Aurélie Rouffy, IPA libérale, travaille avec le Dr Aurore Pêcheur. La généraliste a voulu tenter l’expérience parce qu’avec « beaucoup trop de boulot », elle identifiait une manière de se dégager du temps pour voir plus de patients. « Je vois tous les patients qui ont une pathologie chronique stabilisée pour les renouvellements. Et le médecin reçoit les patients sur les problèmes aigus ou en décompensation de leurs pathologies », décrit Aurélie Rouffy. « Il y a certaines choses qu’elle fait que je ne faisais pas, complète le Dr Pêcheur. Par exemple, les mesures des IPS pour la détection des artériopathies. Je n’avais ni le temps ni le matériel et elle, si, donc je lui transfère systématiquement. »

 

Dans l’Indre, à Saint-Gaultier, le Dr Laetitia Thoyer et sa collègue travaillent depuis à peu près un an avec William Meeus. En plus des renouvellements d’ordonnances pour les patients chroniques, il remet à jour les vaccinations, réalise les ECG, mesure les IPS, voit aussi les patients en Ehpad. « Et si jamais il voit quelque chose qui ne va pas, il reprend un rendez-vous. Ce qui me laisse le temps de faire plus d’aigu », explique le Dr Thoyer.

 

Une complémentarité plutôt que de la concurrence

 

Par rapport aux consultations des généralistes, celles des IPA se font sur un temps plus long. « Nous avons beaucoup entendu “si les IPA nous prennent les consultations “faciles”, il va ne nous rester que les lourdes”. Mais en réalité, ce sont celles-là qu’on nous confie », explique Laurent Salsac, IPA à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) qui travaille avec cinq médecins. « Ils m’adressent ces prises en charge compliquées avec des populations qui ont des parcours complexes, difficiles à manager, souvent très vieillissantes, avec des obstacles au maintien à domicile, décrit-il. Ils “partagent” ces patients qui nécessitent d’être à deux sur l’accompagnement. » Comme le détaille par exemple Éléonore Vitalis, à propos de la liste des patients qu’elle suivait en 2021, « j’avais une moyenne de cinq pathologies chroniques par patient ».

 

Plutôt que des IPA qui « piqueraient » le travail des médecins, c’est la complémentarité pour une prise en charge de patients de plus en plus complexes qui est mise en avant. « Nous n’avons pas la même approche car je reste infirmière mais il y a vraiment une belle complémentarité avec les consultations du médecin », souligne Aurélie Rouffy. Une complémentarité qui permet aussi « de faire de la prévention bien en amont de la symptomatologie », ajoute-t-elle.

 

 

 

« Nous n’avons pas la même vision, développe Éléonore Vitalis. Le médecin se concentre plus sur la partie biomédicale et nous élargissons à une approche plus globale. » « Le plus dur, pour toutes les professions, c’est d’arriver à admettre que soi-même, on ne peut pas tout faire. C’est la complémentarité, l’interface entre les professions qui permet de sécuriser et d’enrichir les prises en charge », abonde Laurent Salsac.

 

Une qualité de suivi profitable au patient

 

Sur son pôle de santé, le Dr Luc Duquesnel, généraliste en Mayenne et président des Généralistes-CSMF, travaille depuis mai 2022 avec une IPA qui suit 570 patients. « Finalement, malgré nos problèmes de démographie médicale, nous maintenons une grande qualité des soins. Tous les patients que je lui ai confiés sont à jour de leurs vaccins, des dépistages, etc. », souligne-t-il.

 

Et au niveau des patients, l’accueil est donc lui aussi positif : « Pas un seul de mes patients ne m’a fait de retour négatif. La consultation est beaucoup plus longue, l’IPA fait plus de choses que nous en un quart d’heure, donc les patients adorent », note le Dr Laetitia Thoyer.

 

Quant aux critiques qui dénoncent une médecine au rabais ou à deux vitesses, une mise en danger des patients… là encore, les principaux intéressés préfèrent mettre en avant le travail en équipe. « Nous ne sommes pas là pour remplacer ni l’infirmier ni le médecin. Nous n’allons pas faire les cow-boys et prescrire tout et n’importe quoi. Nous apprenons à jauger nos limites et quand cela dépasse nos compétences, nous passons le relais », souligne Éléonore Vitalis.

 

« C’est faux de dire que cela décrédibilise la médecine. L’IPA avec qui je travaille connaît ses limites et, au moindre doute, m’appelle. Nous avons beaucoup d’échanges, nous travaillons vraiment en équipe », partage de son côté le Dr Thoyer.

 

Le Dr Duquesnel confie également être en contact plusieurs fois par jour, « par messagerie, téléphone », avec l’IPA sur les suivis qui posent problème. « La semaine dernière, nous nous sommes retrouvés pendant une heure trente pour discuter des patients en situation délicate », raconte-t-il. « C’est un travail qui est collégial, aucun IPA ne s’amuse à faire de l’expérimentation », ajoute Laurent Salsac, également président de l’Ordre des infirmiers d’Indre-et-Loire.

 

Sur le terrain, la collaboration semble donc bien se passer et avoir été adoptée par ceux qui l’ont testée. « De toutes les mesures qu’on propose actuellement pour essayer de compenser le manque de médecins, les deux qui m’ont aidée au quotidien sont celles qui m’ont permis d’avoir un assistant et un IPA, confie le Dr Thoyer. Ce sont les deux éléments combinés qui m’ont permis d’avoir une amélioration de la qualité de vie au travail et de voir plus de patients. »

 

Et le Dr Aurore Pêcheur balaie d’un revers de main les craintes de pertes de travail. « Mes plannings sont toujours aussi remplis. Si l’IPA n’était pas là, je ne sais pas où je mettrais ces patients », explique-t-elle. Le Dr Duquesnel regrette même, pour sa part, ses difficultés à recruter un deuxième IPA. Depuis deux mois, l’annonce du pôle de santé est restée sans réponse. « Des IPA, on en manque », souligne-t-il.

 

Un modèle financier fragile

 

En effet, en ville, la pratique avancée reste peu développée, d’autant plus en libéral. Pourquoi ? Aujourd’hui, l’aspect financier est identifié comme un des freins principaux. « D’après l’Assurance maladie, le chiffre d’affaires médian pour un IPAL en 2021 était de 17 000 euros bruts annuel. Quand on est libéral, il faut partir deux ans en formation et quand, en plus, la mise en œuvre financière n’est pas au bout, c’est compliqué », explique Laurent Salsac.

 

Quelques chiffres

 

• Depuis avril 2020, 176 IPA exerçant en libéral ont facturé au moins un forfait IPA, dont 131 n’ayant pas arrêté leur activité au-delà de 6 mois.

 

• 46 IPA exclusifs ont bénéficié des aides à l’installation.

 

• Les IPA encore en activité ont suivi en moyenne 184 patients (médiane à 76 patients).

 

• L’ensemble des IPAL ont réalisé entre avril 2020 et août 2022 : 60 914 actes pour

24 375 patients différents.

 

• En 2021, 21 IPA (10,3 ETP d’IPA) dans 21 centres de santé (données déclaratives issues de la plateforme ATIH).

 

• À décembre 2022 : 30 IPA dans 30 MSP (données déclaratives)

 

Dans un rapport publié début 2022, l’Igas, parmi les pistes principales pour développer la pratique avancée, mettait ainsi en avant « une révision du modèle économique et de financement, en libéral comme en établissement ». En libéral, les IPA sont rémunérés au forfait. L’été dernier a été signé l’avenant 9 à la convention nationale des infirmiers qui prévoit une revalorisation de ces forfaits et qui pourrait donc faire bouger les choses.

 

Mais aujourd’hui, le modèle économique en ville est difficilement viable. En Mayenne, le Dr Duquesnel et ses collègues du pôle de santé ont fait salarier par la Sisa l’IPA avec qui ils travaillent. Et même en tant que salarié, cela peut être compliqué, comme le révèle Éléonore Vitalis. « Il n’existe pas de grille IPA en territorial, donc à Nanterre je n’étais pas payée comme une IPA. »

 

En libéral exclusif, Aurélie Rouffy confie se donner « encore six mois et si ce n’est pas plus viable économiquement, j’arrêterai ». « La généraliste avec qui je travaille est hyper ouverte à la pratique avancée mais ne peut pas faire plus que ce qu’elle fait pour que j’aie du travail et ça ne suffit pas pour remplir la semaine de travail », explique-t-elle.

 

Vaincre la frilosité de certains omnipraticiens

 

Car le tout est lié et, avec un modèle économique déjà précaire, la frilosité des médecins rajoute au phénomène. « C’est une cascade. Le premier frein, ce sont les médecins fermés à la pratique avancée qui ne veulent pas que leurs patients voient des IPA. Derrière, forcément, s’il n’y a pas de patients, il n’y a pas d’argent », ajoute Mme Rouffy.

 

IPA et médecins qui travaillent ensemble regrettent donc d’autant plus les polémiques de ces derniers mois. « Qu’on prenne les IPA en épouvantail pour essayer de fédérer, je ne comprends pas », soupire Laurent Salsac, également secrétaire adjoint de l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa).

 

Le Dr Duquesnel déplore aussi la polémique : « Beaucoup de ceux qui parlaient ne savaient pas ce qu’était un IPA, ses compétences, et n’ont jamais travaillé avec. J’étais malheureux de voir la tournure des débats et tout ce qui circulait sur les réseaux sociaux quand je vois l’expertise et la qualité du travail des IPA ».

 

Étant donné le contexte actuel compliqué du système de santé, pour Aurélie Rouffy, ses acteurs auraient tout à gagner à s’unir plutôt que s’opposer. « Il faut changer la vision des choses et accepter de travailler réellement ensemble. Ne pas collaborer avec ces professionnels, c’est aussi de la perte de chance pour les patients. »